« Rien, a priori, ne laissait présager que Frida aurait,
plus tard, une vie extraordinaire.
La seule chose qu'elle eût de particulier alors, c'était son prénom. »

 

Frida. La paix, en allemand. Ce qui est un prénom franchement ironique lorsqu'on sait que cette femme n'a littéralement jamais été en paix, de toute sa vie.

Frida Kahlo, donc. Son nom complet est en réalité Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón, mais c'était un peu long comme titre d'article. Brève présentation pour ceux.lles qui ne la connaissent pas, ou pas encore : c'est une peintre mexicaine, qui est née, a vécu, et est morte en 1954 à Coyocàn au Mexique, elle avait 47 ans.

En terme de mouvement artistique, on parle de symbolisme, de réalisme (voire de surréalisme). Peut-être appartient-elle un peu aux trois, mais plus probablement à aucun d'entre eux. Le fameux problème des étiquettes qu'on aime bien coller un peu partout...

Bien sûr, de nombreuses œuvres lui rendent hommage mais je n'en aborderais que deux : la biographie Frida Kahlo de Rauda Jamis (1985, Edition Babel) et le film Frida de Julie Taymor, sorti en 2002, avec Salma Hayek dans le rôle-titre.

 

Frida Kahlo

(Entre parenthèses : Frida est, comme la plupart des biopics, centré sur ses histoires d'amour avec Diego Rivera et Léon Trostski. Cela lui vaut d'être tristement classé dans le genre « Drame/Histoire d'amour », ce qui est prodigieusement agacant. Comme si sa vie ne pouvait être vue qu'uniquement à travers les hommes de sa vie. Non pas qu'ils n'aient pas joué un rôle primordial dans son existence, certes. Néanmoins, gardez en mémoire que le film, à la différence du livre de Rauda Jamis qui est plus complet, est franchement orienté dans cette direction. Fermez la parenthèse).

 

« De cette agonie sans fin qu'a été ma vie, je dirais : j'ai été
comme un oiseau qui aurait voulu voler et qui ne pouvait pas. »

 

Première différence : là où le livre retrace l'intégralité de la vie de Frida Kahlo, depuis la rencontre de ses parents plus précisément, le film commence à Mexico, en 1922 seulement. (Le saviez-vous ? Adolescente, Frida Kahlo voulait devenir médecin...) Cette entrée en matière, immédiate, nous mène fatalement à l'évènement qui marquera tristement la vie de Frida telle que nous la connaissons aujourd'hui : la scène de son accident de bus.

 

Frida adolescente (Salma Hayek dans "Frida" de Julie Taymor)

Frida adolescente (Salma Hayek dans "Frida" de Julie Taymor)

La biographie de Rauda Jamis alterne entre un récit externe et de courts chapitres écrits du point de vue de Frida, plus poétiques, plus personnel, qui nous donnent son ressenti direct, d'où une certaine difficulté d'adapter un tel événement à l'écran.

Reprenons. Frida et son petit ami se dépêchent pour prendre le bus en sortant des cours. Le pire, le pire, c'est qu'ils courent pour attraper ce satané bus parce qu'ils ne veulent pas attendre le suivant, et que Frida laisse sa place à une vieille femme. Et nous, qui savons déjà, on comprend que s'ils avaient attendu celui d'après, ou s'ils s'étaient assis à une autre place au moins, Frida n'aurait peut-être pas été blessée. À une minute près, elle n'aurait pas été Frida.

À quoi ça tient, la célébrité.

La scène en elle-même est construite avec un jeu de symétrie avant le choc/après le choc (l'oiseau qu'un garçon tenait dans sa main s'est envolé, la poudre d'or dans le sac s'est renversée...) qui montre à quel point tout bascule très vite, sans pour autant utiliser un montage rapide. Et un plan du visage de Frida qui se reflète dans la vitre, et de l'autre côté de la vitre, le mur qu'ils s'apprêtent à heurter...

S'ensuit une scène assez particulière, un peu d'animation, un peu clip de musique, qui personnellement me rappelle vaguement un film de Tim Burton (les squelettes animés m'induisent sans doute en erreur), dans laquelle on entend les médecins emmener Frida à l'hôpital et font la liste de ses blessures. « Est-ce qu'elle va remarcher ? » Demande une infirmière. « Il faudrait d'abord qu'elle vive. » Répond le médecin.

 

« Et cette sensation, qui ne m'a pas quittée depuis,
que mon corps ramasse les plaies, toutes les plaies. »

 

Retour à la maison sur un brancard, quelques semaines après l'accident. Elle porte un corset de plâtre, de la poitrine jusqu'au genou gauche, et se prolonge jusqu'à la cheville sur la jambe droite. Clouée, au lit, littéralement. Les médecins défilent, et bien sûr les soins sont payants, d'où la sensation d'être une sorte de fardeau pour sa famille.

C'est son père qui trouve une solution. Dans son grand lit à baldaquin, construit pour l'occasion, il installe un grand miroir au dessus de sa tête, et lui apporte un chevalet, des couleurs, des pinceaux. Toute la journée, à moitié allongée sur son lit, elle fait ses autoportraits grâce à ce miroir.

Et Frida se met à peindre.

Frida peint "La Colonne Brisée"

Frida peint "La Colonne Brisée"

Trois ans après l'accident et s'appuyant sur une canne pour marcher, ce n'est plus du tout la gamine de dix-sept ans qui courait en boitillant (souvenir d'une polyémélite qu'elle a eu enfant). Elle veut demander un avis sincère à Diego Rivera sur ses toiles, qui peint alors une fresque dans l'auditorium de l'école. Il lui répond que son opinion ne compte pas : si elle veut s'amuser à peindre, qu'elle le fasse ! Elle s'entête. Si elle n'est pas assez bonne, elle devra trouver un autre métier pour aider ses parents. Elle l'appelle panzón, le gros.

Diego Rivera est décrit comme un des plus grands peintres mexicains. Il fait des fresques gigantesques – tout est gigantesque chez lui d'ailleurs. Il parle fort, boit et mange comme quatre, se met dans des colères incroyables pour rien (notamment dans une scène où il tire une balle au milieu du salon, pendant une dispute avec un ami. Un génie peut-être, mais un génie fêlé.) Il est sincèrement impressionné par ses toiles et l'encourage à continuer la peinture.

 

Rivera et Khalo.

Rivera et Khalo.

Le film va retracer leur histoire, et il faut bien ça parce que le ciel sait à quel point c'est une histoire compliquée. Entre les tromperies de Diego, les nombreux problèmes de santé de Frida et ses liaisons – notamment avec Trostki, qui est très mise en avant, mais avec des femmes aussi. (Frida était bisexuelle, soit dit en passant. C'est parfaitement bien retranscrit dans une œuvre comme dans l'autre et ça c'est : bien.)

Avantage du livre sur le film – même s'il s'agit de mon avis personnel – il insiste plus sur la perte du bébé de Frida, trop malade pour mener la grossesse à terme, lorsque le couple Rivera vivait aux Etats-Unis. Cet événement tragique l'a énormément marquée, et donc influencée, et Rauda Jamis retranscrit tout cela avec un chapitre à mon sens bien plus percutant que la scène filmée.

 

« Désordre, éparpillement. Je tangue comme un bateau ivre, ivre de dérive, une barque creuse. Meurtrie, jamais été aussi meurtrie. »

 

L'un dans l'autre, on insistera assez peu sur l'engagement politique du couple Rivera, étant donné que le livre s'intéresse plus à Frida en tant que femme et artiste, et que le film préfère se centrer sur son histoire avec Trotski, venu se réfugier au Mexique. Cela reste pourtant un des thèmes centraux, toujours sous-entendu, jamais montré dans sa totalité. Un choix artistique discutable, mais pas forcément répréhensible en soi.

La souffrance de Frida, en revanche, est montrée crûment, en permanence, notamment dans les dernières années de sa vie. On s'attardera sur la dernière scène : Digo interdit à Frida, incapable de se lever, de se rendre au vernissage de l'exposition de ses toiles, malgré ses protestations. Il se rend lui-même au musée, où les tableaux sont montrés à tout le monde. La peintre arrive alors en plein milieu de l'exposition : elle a demandé à ce qu'on porte son lit jusqu'au vernissage. Elle porte sa robe, ses bijoux, et elle est allongée. « Vous voyez ? Dit-elle au docteur, très fière d'elle, je vous ai bien écouté. Je n'ai pas quitté mon lit... »

Même sans insister sur les même aspects de la vie de Frida, les deux œuvres se valent – elles se complètent même, et découvrir l'une et l'autre est loin de donner une impression de déjà-vu, voire de copier-coller. Et au passage, quoi de mieux, pour décrire la vie d'une femme célèbre, que deux femmes (dont une mexicaine elle-même) ? Frida apporte des scènes qui changent d'un biopic dit «classique» et des acteurs très bons, fidèles aux personnages ; la biographie de Jamis donne le point de vue direct de Frida, et est magnifiquement écrite.

Et le film, tout comme le livre, s'achève sur cette dernière phrase :

 

« J'espère que la sortie sera joyeuse et j'espère ne jamais revenir. »

 

JustePhi

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